Treck de 8 jours dans le nord du Yukon sauvage

Avant même d’arriver au Yukon, le nom de ces montagnes déjà raisonnait dans nos têtes. Lieu incontournable à ne pas manquer, on nous en avait vanté leur beauté et on ne nous a pas menti. L’expédition doit se dérouler en six jours de marche, c’est une boucle d’une centaine de kilomètres à partir de Grizzly Lake, contournant une chaîne de montagnes  Tombstones Range par ses deux vallées nord et sud avec au total quatre cols à gravir.

Initialement prévue à trois Caro, Arnaud et Cris, notre équipe s’est vue augmentée de Marianne et Sylvestre à la joie de tous. Cris étant guide de métier, nous partons entre amis reconnaître le terrain pour ses futurs clients.

Chargés d’une vingtaine de kilo chacun, nous entamons l’ascension, motivés et confiants à la vue des premières pentes. Très vite la charge du sac à dos se fait sentir, la première pluie alourdissant son poids et notre moral. Première prise de conscience, bien que la pesé des sacs à dos eut été minutieusement calculée et qu’ils vont s’alléger au fur et à mesure de nos repas, ils n’en restent pas moins notre handicap majeur. Etrange paradoxe que celui qui alourdit nos articulations, scie nos épaules, consommant notre énergie trop rapidement est celui qui est notre indispensable allié, épousant notre corps au plus près pour ne faire qu’un, transportant notre survie (et notre confort).

En fin de journée nous arrivons à Grizzly Lake soulagés et émerveillés à la vue des crêtes surplombant le lac au fond de la vallée. Nous pouvons aussi voir le col que nous devrons franchir le lendemain.  Un petit abri de toile nous attend pour  y cuisiner et souper, nous protégeant de la pluie. A  l’aube, après une bonne nuit réparatrice, nous entamons la montée du col accompagnés du soleil et le sourire aux lèvres. C’est le début de la boucle qui nous fera contourner Tombstones Range par le nord. La montée se fait avec hâte pour découvrir les nouveaux paysages et la suite de notre itinéraire. Une fois basculés de l’autre côté, la descente est une vraie partie de plaisir. Nous nous laissons glisser sur un épais tapis de petites roches, non sans mal nous arrivons à Divide Lake. Le reflet du ciel et des parois rocheuses se jetant dans l’eau miroir, donne toute la beauté à ce lieu. C’est l’occasion pour une halte bien méritée, barres tendres, fruits secs et hydratation, nous permettrons de rejoindre Talus Lake, hors des sentiers battus et sous une pluie intermittente. Talus Lake autre joyaux des Tombstones, nous offre la vue surprenante d’un panorama de crêtes abruptes fendant le ciel tout autour du lac. Un paradis d’escalade pour les grimpeurs de l’extrême. Une fois notre camp monté au bord du lac, il est bon de se délasser dans ces lieux le temps d’une accalmie, se remémorant les efforts de la journée.

La météo n’étant pas avec nous, les habits n’ont pas pu sécher pendant la nuit, et nous commençons la troisième journée déjà humides. Le hors piste fait partie intégrante du trek à ce stade de la randonnée. Nous évoluons dans la toundra, végétation assez basse d’arbustes, de lichen moelleux blanc contrastant dans des zones rocailleuses sombres et hostilles. Freinés par la végétation, notre progression est plus lente s’assurant de bien négocier les pièges du terrain glissant et scabreux. Equipés d’une carte et d’une boussole, la lecture ne sera pas seulement topographique mais également visuelle pour faciliter notre itinéraire à flanc de montagnes et négocier au mieux les accumulations de roches et le bush en favorisant au maximum les passages dans la mousse. Tant que possible nous essayons d’avancer au dessus de la végétation ce qui n’est pas toujours facile avec la pente et la pluie qui rendent le terrain glissant, mais qui nous permettent tout de même une progression plus rapide que le bush walking (marche dans les buissons). Après quelques heures de marche, nos pieds sont déjà détrempés, comme la veille la pluie ne cesse que rarement. C’est assez fatigués par le passage de nombreux pierriers, que nous décidons de monter le camp au bord de la rivière et de faire un feu pour tenter de sécher nos affaires durant une accalmie de trop courte durée. Malgré la bâche et toute notre bonne volonté, le linge ne sera pas sec ce soir.

Grâce aux boîtes à l’épreuve des ours, prêtées par les rangers du parc, nous pouvons mettre toute notre nourriture en sécurité. Il serait fort ennuyeux de se retrouver sans vivre à trois jours de marches de toute civilisation. Afin d’éviter des visites nocturnes de grizzlys et par sécurité, il est recommandé de monter le camp en triangle : un coin cuisine feu, un coin pour stocker toute la nourriture dans des boîtes, et un espace tentes. Chacun espacé d’une distance de trente mètres. Tentant d’appliquer le « leave no trace » (quitter sans trace), nous avons fait notre feu sur deux grandes pierres plates qui nous ont permis, une fois terminé, de jeter les cendres dans la rivière, ni vue ni connu. Il est important de ne pas laisser de traces de notre passage pour garder une nature sauvage.

Nous sommes au quatrième jour, matinée pluvieuse dans la forêt très humide, nous pataugeons dans nos bottes de marches, nos pantalons de pluie et vestes goretex ne remplissent plus leurs rôles, et la pluie ne cesse de s’intensifier. Au passage d’une rivière, nous ne prenons même plus la peine de nous déchausser, nous sommes lessivés mais pour nous  « tout baigne ». Cette situation des plus dramatiques, ne nous a pas pour autant démoralisés, continuant à chanter et Marianne à appeler le soleil énergiquement. Le premier col nous permettant d’atteindre la vallée sud s’annonce, nous amorçons le virage à gauche. L’ascension qui nous amène en zone alpine nous fait surplomber d’autres vallées. De là quelques courts rayons de soleil nous firent pétiller les yeux sous la beauté du paysage. Extenués par la journée harassante, nous montons le camp et confirmons nos doutes de ne pas finir dans les délais.

C’est alors qu’un problème mathématique se pose à nous.

Considérant que cinq randonneurs (2 filles, 3 garçons) partent en balade dans les Tombstones, sachant que au bout du quatrième jour ils sont quasiment à la moitié du parcours (pour les encourager et simplifier le problème, on considère qu’ils ont fait la moitié).

Première question : en combien de jours devraient-ils finir la boucle ?                           

Deuxième question  : sachant qu'ils n'ont que six jours de nourriture et qu'ils en ont déjà mangé quatre.

Combien de repas vont-ils devoir subdiviser?

Troisième question : peuvent-ils concrètement tous les cinq survivre à cette aventure ?                                                      

Si les calculs sont faits, on attend les résultats.                                                        

Bref les quatre premiers jours se sont fait à la force des jambes, les quatre derniers se feront au mental, nous n’avons  plus besoin de nos jambes, nous pouvons donc les manger (rires).

Au réveil, notre esprit reflète au mieux la météo brumeuse, mais ce matin c’est le col qui nous attend. Longeant à flanc, nous l’atteignons sans difficulté, ce qui signifie le milieu du trek et le début du retour. Malheureusement le temps se gâte et un épais brouillard nous entoure masquant toute notre visibilité. Notre orientation tient seulement à la lecture de la carte, sans pouvoir nous localiser précisément par manque de repère. La traversée d’un pierrier abrupte de petites pierres friables s’est avérée très périlleuse, créant de petites avalanches à chaque pas avec comme crainte une chute et un glissement de terrain plus important. Ne voyant pas le bout, les jambes tétanisées, la situation angoissante semblait interminable. Quelques secondes d’éclaircie nous ont permis de rectifier la trajectoire vers une zone plus négociable en contre bas. Ne se laissant pas abattre, nous faisons un feu pour nous redonner le moral et nous réchauffer le temps du lunch. La vallée se resserre nous obligeant à descendre dans la forêt de grands sapins dense et pentue. S’accrochant dans les branches à tous les niveaux notre progression reste lente dans cette épuisante taïga.  C’est en atteignant la rivière que nous trouvons un sentier animal longeant celle-ci. Véritable aubaine, c’est une autoroute qui s’ouvre à nous. Nul besoin de chercher notre chemin dans toute cette végétation, cependant il faut rester prudent  et signaler notre présence continuellement  car de nombreux indices nous montrent la forte présence d’ours et d’orignaux. Apercevant un monticule dégagé de l’autre côté de la rivière, nous traversons celle-ci pour y monter le camp, sous un soleil que nous n'avions plus vu depuis bien longtemps. C’est dans la joie et l’euphorie que nous faisons sécher tout notre stock. Feu, vent et soleil est un cocktail de miracle pour nous remotiver.

Au matin du sixième jour, c’est un bain de pied revigorant qui nous attend, avant de rejoindre notre rassurante autoroute sauvage. Un petit peu plus loin, au détour d’un ruisseau, entre les arbres se profile une cabane. Surprise et étonnement poussent notre curiosité à approcher, nous qui pensions être loin de toute civilisation. Nous sommes dans les vestiges d’une vieille cabane en bois rond, de nombreux outils et ustensiles rouillés y demeurent encore : scies, meule à aiguiser, casseroles, bassine en fer servant à la toilette, vieux poêle à bois, quatre lits en toiles…. Nous supposons que ces lieux très isolés abritaient des trappeurs ou des chercheurs d’or. Nous apprendrons plus tard que cette cabane n'est pas répertoiriée dans les archives du parc. Remontant la vallée, laissant la forêt pour des buissons denses, notre sentier animal se divise jusqu’au point de le perdre. Notre progression ralentie, le sol devient de plus en plus spongieux à cause d’une retenue d’eau formée par deux barrages de castors. Ce fond de vallée humide est un lieu apprécié des orignaux pour ses herbes grasses, nous avons pu y trouver une dizaine de bois dont une magnifique paire. Nous entamons une légère ascension pour nous rapprocher du troisième col et passer la nuit en zone subalpine. Le ciel est dégagé, nous pouvons apprécier la vue sur la vallée et notre parcours de la journée. Une fois le camp monté, nous nous dispersons à la recherche de notre indispensable : l’eau. Etant plus rare en altitude, les sources se font plus discrètes, mais par chance Chris en bon sourcier la trouva le premier.

La montée se fait facilement, une fois au sommet c’est une vallée invitante qui s’ouvre à nous. La trajectoire à prendre nous semble plus facile que les autres jours. Quel plaisir de gambader ces pâturages alpins. Quelques kilomètres plus loin nous faisons une pause en nous rafraîchissant devant une cascade aux piscines naturelles. Un bush plus tard, c’est une grosse pierre instable qui manque de briser la jambe de Sylvestre. Plus de peur que de mal, il s’en sortira avec deux grosses éraflures. Malgré la journée qui commence à se faire sentir, il faut absolument que nous atteignons le bas du col ce soir, car les rations sont comptées. C’est après douze heures de marches que nous nous effondrons extenué dans nos sleepings bag.

Après une courte nuit et un réveil très matinal, 5h30 de la part de Chris, notre huitième et dernier jour débute avec la ferme intention de retrouver la civilisation pour y dévorer une frite. Nous crapahutons sur une étroite crête rocheuse pour passer notre dernier col, seul passage vers Grizzly Lake. Si près du sommet du Mont Monolithe, Arnaud et Sylvestre ne peuvent pas s'abstenir de le grimper. De là haut, le panorama à 360 degré est gigantesque. Avec la pure impression d’être sur le toit du monde. La batterie de l’appareil photo d’Arnaud s'étant déchargée juste avant, les images resteront gravées dans leurs têtes. C’est avec hâte que nous rejoignons Grizzly Lake, retrouvant des gens et un sentier connu. Les dernières heures nous paraissent interminables, malgré le rythme soutenu que Caroline engage. Délivrance que d’arriver au parking, et c’est avec surprise que cinq bières fraîches nous attendent dans la glacière de la valise de la voiture de l’ingénieuse Marianne.

Au final nous sommes contents d’avoir fait cette aventure même si les difficultés ont été sous estimées, cela a été formateur, nous avons pu malgré nous tester nos limites, nous en ressortons grandis et plus forts. Nous regrettons cependant de ne pas avoir eut assez de temps pour profiter des plaisirs simples de l’arrière pays ainsi que ces quelques bobos :  quatre piqûres de guêpes, queques bleus et contusions, des coupures aux mains, une douzaine d’ampoules aux pieds, des courbatures musculaires, cinq paires de pieds blancs et tous fripés, des dos et des épaules en vrac, un pantalon en lambeau, des belles chutes plus cocasses que graves (dont la célèbre figure de la tortue sur le dos), une tendinite du tendon d’Achille, 184 piqûres de moustiques, des genoux en compote, des nombreuses éraflures et cinq estomacs en manque  .    .    .                    de patates frites !!!!!!

 

   Caro,  Sylvestre & Arnaud 

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Commentaires: 6
  • #1

    émilie couz (samedi, 21 août 2010 02:32)

    j'ai mis 15min a lire votre roman et pdt 15min j'avais le palpitant a 2000!!alors j'imagine vous pendant 8 jours!! la montagne ça nous gagne! j'espère que les patatas fritas étaient bonnes et appréciées! gros bisous a vous et n'oubliez pas "the freedom and simple beauty is too good to pass up" n'est ce pas...

  • #2

    Pommier (dimanche, 22 août 2010)

    Que d'émotions en vous lisant. Bravo à vous pour votre mental et votre courage.
    Continuez de nous faire rêver, à travers vos récits et vos photos c'est un périple que nous réalisons en imaginaire car nous n'aurons jamais la possibilité de l'effectuer en réel.
    Moi aussi mon sac était mon pire ennemi au départ et mon meilleur ami à l'arrivée.
    Bisous à vous!!!!!!!!!!!!!

  • #3

    emilie (lundi, 23 août 2010 06:45)

    coucou les jeunes!!!!!
    super, génial et surtt Félicitations pr cette aventure.....qui me fait peur rien qu en la lisant!!!!!!!!!
    bisous à vous 2

  • #4

    emilie (lundi, 23 août 2010 06:50)

    et au fait....
    4j
    6repas
    oui.....

  • #5

    Cousin Benoit (jeudi, 26 août 2010 14:56)

    Vous rendez vous compte que vous réalisez nos rêves jeunes gens !
    C'est normal que par l'"effet papillon", ma jalousie se transforme en un peu de pluie ...

    des Bises
    Benoit
    Clochette, Alban et Titouan

  • #6

    Lucyle (dimanche, 24 avril 2011 11:12)

    10 mois de retard sur votre voyage.Je m'arrête sur ce long treck pour vous féliciter et saluer votre courage et vous admirer.Les photos sont superbes, certaines me donnent envie de peut-être y réfléchir avec des idées de tranformation que seule mon imagination peut transcrire en sensations et en couleurs avec bien sûr toiles, papiers et peinture.
    Bisous.